Tu pourrais,
Wilda, nous parler de ton enfance ? Tu n'as pas toujours vécu dans les
bois... Raconte-nous…Comment étaient tes parents, ta maison ?
Lorsque j'étais petite,
comparativement à bien d'autres enfants, j'ai vécu une belle enfance. Je
n'ai pas toujours vécu dans la forêt… Je demeurais dans une belle
maison, j'avais ma propre chambre, ma mère me faisait de beaux
vêtements, j'avais quelques jouets qui me venaient en grande partie de
mes tantes du Nouveau- Brunswick. De plus, j'étais seule à avoir
l'attention de mes parents.

Par contre, je m'ennuyais souvent et comme je n'avais que rarement la
permission d'aller jouer avec des petites voisines, je me trouvais bien
seule. Quand je ne pouvais pas aller chez mes oncles et tantes, je
m'amusais beaucoup car tout était nouveau pour moi dans le sens que
c'était bien différent de la vie de chantier.
Quand j'étais à la maison, je passais des heures à
découper des photos de petites filles dans le catalogue de Simpson
Sears. Je leur faisais ensuite des vêtements en découpant dans le même
catalogue. Pour les ajuster, je laissais plus de papier aux épaules et à
la taille. Ensuite, je repliais le papier afin de faire tenir les
vêtements sur la photo de la petite fille que j'avais au préalable collée
sur un carton rigide.
Même si je ne savais pas
encore lire je passais pas mal de temps à regarder les aventures de
Philomène et les miquettes dans le journal que mon père achetait les
fins de semaines.
Je lui racontais ce que
je comprenais de l'histoire et je pense que j'avais l'imagination
fertile car quelques fois, j'en rajoutais. Je me couchais par terre dans
le salon, le journal bien étendu devant moi et je passais beaucoup de
temps à m''inventer des histoires avec les quelques images que je
trouvais

Vous savez, il n'y avait
pas de télévision. Je n'avais pas de ces beaux jeux que vous retrouvez
sur le marché aujourd'hui, je ne lisais pas non plus ces beaux volumes
illustrés qui sont à profusion maintenant.
Nous devions nous servir
de notre imagination bien plus que maintenant, nous n'étions pas aussi
gâtés, mais nous trouvions quand même des choses intéressantes à faire.
Quand je pouvais mettre
la main sur un livre illustré, soyez assurés que je le connaissais par
cœur. Je dessinais aussi et quelques fois, gros luxe, j'avais un livre à
colorier et des crayons de cire de différentes couleurs. Je les
ménageais pour les moments difficiles.
Mes cousins et cousines
m'enviaient d'avoir tout cela pour moi toute seule, mais moi je les
trouvais tellement chanceux d'avoir des frères et sœurs pour jouer, pour
se confier et même pour se chamailler à l'occasion.
J'avais une petite
voisine qui venait jouer avec moi à l'occasion. Elle repartait souvent
avec des jouets, elle ne venait pas par amitié mais bien parce qu'elle
savait qu'elle aurait ce qu'elle voulait.
C'est triste d'être
obligé d'acheter l'amitié, d'être obligé de donner pour avoir un peu
de compagnie. Je la plaignais aussi car elle n'avait pas autant que moi,
sa famille était nombreuse et elle manquait de tout ce luxe que j'avais
comparativement à elle.
Mes petits amis, méfiez¸-vous de ces supposés amis qui profitent de vous. L'amitié est un très
beau sentiment, il est générosité et ne demande rien en retour, si ce
n'est que votre amitié sincère.
Tu as raison Wilda, nous allons faire plus attention !
Dans ce temps-là, les
marques d'attention comme nous rencontrons régulièrement aujourd'hui, ne
serait-ce que des parents embrassant leurs enfants, se faisaient très
rarement. Il y avait beaucoup de gêne à montrer ses sentiments et ça se
passait ainsi à peu près partout.
Ma mère s'occupait de moi
et veillait à mon éducation. J'étais très intimidée par mon père et je
le craignais beaucoup, pourtant il ne me frappait jamais.
Mon père, je le vois comme un homme qui ne parlait pas beaucoup. Il
semblait assez taciturne et se retirait souvent dans une petite pièce
qu'il avait adoptée, et il jonglait.
Dans des soirées entre
parents et amis, c'était un autre homme. Il était souvent le clou de la
soirée. Il faisait des farces, était un bon raconteur d'histoires, il
semblait avoir beaucoup d'humour car les gens riaient de bon cœur.

On voit ici le poële
à bois, la bouilloire qu'on appelait ''bombe'' et qui se retrouvait en
permanence sur le dessus du poêle. Le crucifix qui trônait dans toutes
les demeures
Ma mère m'a raconté que lorsque j'étais bébé, j'avais été très malade.
J'ai pleuré pendant six mois sans arrêt, le jour comme la nuit. Je
crois qu'à ce moment-là, ça ne leur aurait rien fait de me perdre tant
ils étaient fatigués de m'entendre.
Comme je vous l'ai dit,
ma grand mère s'était cassé la jambe et n'a pas pu venir aider maman
comme elle l'aurait certainement fait lors de ma naissance. Mon père
voulant aider m'avait donné à boire du lait pur et cela avait eu comme
effet de me déranger l'estomac.
Le lait d'aujourd'hui est
bien différent de celui de ce temps-là; sur le dessus de la bouteille on pouvait retrouver
quelques pouces de crème, donc c'était très riche,
un peu trop pour un nourrisson.
Je me suis ensuite
rétablie et je me suis développée normalement. Je marchais à neuf mois
et demi et très vite j'ai commencé à fouiller partout.
Je regarde des photos
anciennes et je vois que j'étais un beau bébé. Vers l'âge de deux ans et
demi, une nuit, j'ai été très malade et le lendemain, j'avais l'œil
gauche complètement croche, presque blanc.
Aujourd'hui, si une telle
chose survenait, aussitôt, il y aurait des analyses de faites afin de
régler le problème. On me ferait une opération mineure qui réglerait ce
strabisme et on tenterait de rétablir ma vision.
Les moyens cliniques
n'étaient pas à la portée de tous les gens et au fond de notre campagne,
les moyens étaient restreints. Mes parents devaient espérer que tout
rentrerait dans l'ordre tout seul mais malheureusement, j'ai toujours
gardé mon œil croche avec très peu de vision, juste un petit reflet.
Je me souviens qu'on
s'est rendu quelques fois à Chicoutimi consulter un chiropraticien. À
cette époque, ils n'avaient pas le droit de pratiquer et tout se faisait
à la cachette. Il a réussi à ramener un petit peu mon œil, mais ça
m'aurait pris des traitements réguliers, mais c'était pratiquement
impossible.
A l'âge de quatre ans, j'ai commencé à porter des
lunettes afin de faire travailler mes deux yeux. Je me souviens que
chaque jour, ma mère me faisait faire des exercices. On bouchait la
vision de l'œil droit et avec un petit drapeau, je tentais de le suivre
avec mon œil malade qui ne distinguait qu'une toute petite lueur.
Je n'y voyais presque
rien et c'était très fatigant. Mes parents ont dû avoir beaucoup de
peine de me voir ainsi, car pour des parents, tout ce qui fait du mal à
leurs enfants les touche comme si ça leur arrivait à eux et quelquefois
plus profondément.
Aujourd'hui, je porte
toujours des verres correcteurs et mon strabisme ne paraît pratiquement
plus, mais je n'ai jamais retrouvé la vision pour cet œil malade.
Encore une chose qui me
rendait différente, car dans ce temps là, les enfants portant des verres
correcteurs étaient des exceptions.

La religion catholique
était omniprésente dans les familles du Québec, et les messes du dimanche
et des jours fériés, étaient obligatoires. Il fallait une raison
majeure pour ne pas y assister. Je crois cependant que beaucoup de gens
allaient à la messe plus par obligation que par conviction. De plus, à
l'époque, les offices étaient très très longs, enfin c'était mon
opinion.

L'église de Normandin était ce que j'avais vu de plus beau…Elle était
très grande avec un ciel bleu nuit parsemé d'étoiles, c'était
magnifique. Elle était immense, juchée sur le haut d'une colline, on
pouvait la voir des milles à la ronde. Lors des offices religieux elle
était toujours bondée. Plusieurs années plus tard elle a été détruite
par le feu, ça dû être une très grande perte pour les habitants de
Normandin.
Quand nous n'étions pas
dans les chantiers, mes parents m'amenaient souvent avec eux à la messe
du dimanche . Naturellement j'étais tannante, même si je trouvais cela
beau, je n'aimais pas y aller. Je trouvais cela trop long et je ne me
suis jamais bien sentie dans une église avec plein de gens qui souvent
ont l'air de s'ennuyer. Je ne comprenais pas toujours ce marmottement
que j'entendais, alors je ne cessais de me promener d'un bout à l'autre
du banc.
Naturellement
j'accrochais le petit banc que l'on trouve devant les chaises pour
s'agenouiller. Il tombait avec un bruit fracassant sur le plancher de
bois franc : tout le monde se tournait pour me regarder avec des yeux
remplis de reproches.
Quelquefois, quand ma
mère me serrait un peu trop le bras, pour la mettre dans l'embarras et
pour montrer que je n'étais pas d'accord avec les moyens employés, je
partais à pleurer très fort. Je vous assure que dans une grande église,
avec l'écho, toute la paroisse savait que la petite tannante des Johnson
était présente. Vous vous doutez bien que le retour à la maison n'était
jamais bien agréable…
J'ai souvent été une vraie petite chipie.
Hi Hi , Wilda tu étais tannante toi aussi....
Bien oui comme tous les enfants j'imagine.
Moi , j'aime aller à l'église
quand tout est calme. Je ne suis pas alors dérangée par des gens
qui parlent, toussent ou voyagent. J'aime m'agenouiller et
parler à mon Dieu comme à un ami à qui on peut tout dire. Je Le
vois comme mon allié et Il est toujours présent partout. Pour
moi, l'endroit d'où on lui parle n'a pas tellement d'importance,
comme Il est infiniment bon, il ne faut pas le craindre mais
avoir foi en lui. Il nous fait confiance, à nous aussi de nous
faire confiance.
Aujourd'hui, je n'aime
pas plus qu'autrefois assister aux offices religieux avec plein de
monde, comme vous voyez, à bien des égards, je n'ai pas beaucoup
changé.
L'éducation des enfants.
Comment les enfants vivaient -ils dans ces familles nombreuses ? Étaient ils choyés ?… Avaient-ils tous leur chambre ?
Hé bien! mes amis, vous voulez tout savoir, je vais tenter de vous faire voir ma vision de petite fille de ce temps là.
J'avais deux tantes que
je visitaient plus souvent car elles demeuraient plus près; ma mère
s'entendait bien avec elles et j'aimais bien m'amuser avec mes cousins
qui étaient comme des frères pour moi.

Ici avec mes meilleurs compagnons de jeux de Normandin
En avant Germain, à gauche Gilles, je suis en arrière de
Germain, je ne me souviens pas par contre des autres enfants.
Chez ma tante Irma, je retrouvais mon oncle Edmond,
mes cousins, Jean-Marie que je considérais comme mon frère, cinq ans
plus âgé que moi, et Clément, quatre ans plus vieux que son frère.
Mon oncle Edmond était très gentil et lorsque
j'arrivais, il me prenait sur ses genoux et me berçait en me racontant
des histoires qu'il inventait au fur et à mesure. Elles étaient toujours
intéressantes. Je me sentais en sécurité avec lui et je me sentais
surtout aimée, telle que j'étais.
C'était un patenteux. S'il avait eu la chance de faire des études, il aurait probablement fait un très bon ingénieur.
Il réussissait à faire
avec mon petit chien Marquis tout ce qu'il voulait. Oncle Edmond ne
parlait jamais fort et pourtant il était obéi. Il disait à Marquis de
faire le mort et mon petit chien se couchait sur le dos. Il attendait
alors qu'on formule une autre demande pour se relever.
J'avais choisi ce petit
chien dans la famille d'une autre de mes tante, ma tante Léontine qui
demeurait un peu plus loin, mais dont je vous parlerai un peu plus loin.
Je devais avoir du flair car sur une nichée de plusieurs chiots,
j'avais choisi le plus beau et il était le seul à être resté petit par
la suite. Je crois que c'est le plus beau cadeau de toute
mon enfance.
Mon oncle Edmond était
lui aussi différent, il avait décidé de ne pas suivre les gens dans le bois. Il
s'était construit un petit atelier où il réparait toutes sortes de
choses. Il était toujours à la maison, n'était jamais pressé et était
toujours de bonne humeur. Ça en chicotait plusieurs car probablement que
personne n'avait le courage et/ou la chance de faire ce qu'il aimait.
Ils n'étaient pas riches, mais je crois que mon oncle et ma tante formaient un couple heureux avec leurs deux garçons.
Comme moi, oncle Edmond a
eu beaucoup de peine quand mon animal favori s'est fait tuer sur le
bord du trottoir. Apparemment que le monsieur qui conduisait le véhicule
avait fait exprès de venir écraser mon petit Marquis qui était sur le
trottoir. Il avait demandé plusieurs fois à ma mère pour l'acheter. Je
nous revois encore tous les trois, en pleurs, assis les uns contres les
autres sur les marches de la galerie. Nous étions comme trois enfants
inconsolables, car Jean Marie s'était joint à nous dans notre peine.
Vous vous doutez bien
qu'avec mon oncle, j'avais bon caractère. Il pouvait me demander
n'importe quel service. C'était toujours avec un beau sourire que je le
lui rendais. Chaque enfant était respecté, et avec lui, on ne se sentait
pas inférieur.
Je comprends aujourd'hui,
que pour moi, oncle Edmond a été probablement une des personnes les plus
importantes de mon enfance. C'est par lui que j'ai eu l'impression
d'avoir été réellement aimée.
J'aimais bien Jean Marie.
Je le considérais un peu comme mon grand frère. Je le suivais chaque
fois que j'en avais l'occasion malgré notre différence d'âge.
En arrière de la maison,
il y avait le Cran, c'est le nom qu'on donnait à une montagne faite
principalement de grosses pierres et d'arbres. Elle était pas mal grosse
et assez haute. Pour partir de la maison et grimper jusqu'à son sommet,
ça pouvait prendre quelques heures...hi hi...peut être moins, mais a moi
ça paraissait cela.
Mon oncle nous avait fait des skis avec des planches équarries, bien sablées et cirées. Le bout des skis était relevé.
Il avait attaché dans le milieu, avec des rivets, des bandes de cuir
qui avaient pour fonction de retenir la botte sur le ski. Une paire de
bâtons complétait cet ensemble.
Nous n'avions pas comme
vous, de beaux harnais, de beaux vêtements chauds et des bottes bien
conçues pour protéger les pieds… Malgré tout, nous avions beaucoup de
plaisir à partir en excursion. Les hivers d'antan étaient beaucoup plus
longs et rigoureux qu'aujourd'hui et la neige y était en abondance.
Elle arrivait très tôt
et ne partait qu'à la mi-printemps. Malgré cet accoutrement de fortune,
j'accompagnais mon cousin et ses amis, tous plus vieux que moi. Soyez
certains que je ne les retardais pas, s'ils descendaient dans des petits
chemins tortueux, je fonçais moi aussi. Il y en a qui se sont cassé
des membres, moi pas. C'était vraiment du sport car vous vous imaginez
bien qu'il n'y avait pas de remonte-pente… Le soir, ça dormait dans les
maisons.
C'était comme une deuxième famille pour moi car quand on avait à me faire garder, c'est là que j'allais.
Chez une autre tante, ma tante
Bella, je retrouvais quatre cousins et une petite cousine. Je me
suis par contre plus amusée avec Gilles et Germain car nous n'avions que
quelques mois de différence.
C'était comme des frères
pour moi. Ma tante Bella était mariée avec le cousin germain de mon père, mon oncle Alphonse et les deux hommes étaient comme des frères, ce
qui rapprochaient encore plus les deux soeurs.
Ma tante Bella
travaillait continuellement, elle avait une grosse besogne. J'y allais
souvent car ma mère et elle étaient très proches, mais moi je les
trouvais bien différentes. Elle était assez sévère avec ses enfants et
moi je ne me sentais pas très à l'aise, elle trouvait que ma mère était
trop permissive avec moi.... pourtant elle aidait ma mère à me
confectionner de beaux vêtements.
Ce qui la mettait en colère, c'était le fait que j'étais pas mal grimpeuse et fouilleuse.
Il parait que j'aimais bien vider ses tiroirs. Elle aimait les
bibelots et il y en avait à profusion, comment ne pas être intéressée.

Germain et Gilles avec les très beaux chevaux en bois qu'ils avaient eu en cadeaux
J'étais casse-cou aussi. Ma mère me racontait que, très jeune, je me tenais debout sur ma tablette
de chaise haute et que je dansais dessus et que rarement je me
blessais; mais mon petit cousin s'était fait mal en tentant de faire
comme moi, et ma tante trouvait que j'avais une mauvaise influence. Elle
supportait mal que ses fils ne soient pas aussi chanceux que moi. Pauvre
Gilles, il s'était fait tellement mal en tombant, il avait six mois de
plus que moi. Nous avions beaucoup de plaisir ensemble malgré tout ainsi
qu'avec Germain qui suivait de près.
Une fois, ma tante était
malade, elle attendait des jumeaux et ma mère était venue pour l'aider.
Avec mes cousins, nous nous amusions dehors à nous balancer sur une
planche posée sur un chevalet. Vous avez dû voir cela, on en retrouve
dans les parcs
À un moment donné, j'ai décidé , je ne sais pour quelle raison, que j'en
avais assez et j'ai débarqué sans prévenir et sans penser que je
pouvais mettre mon petit cousin en péril, mon cher petit cousin lui a
pris toute une débarque.
Le pire dans tout cela , c'est le fait qu'à ce moment-là, la
municipalité était en train de creuser pour les canalisations et mon
petit cousin est tombé dans un grand trou de bouette.
Heureusement qu'il y
avait des hommes qui étaient là à ce moment précis et qu'ils ont pu lui
porter secours. J'ai eu tellement peur et je ne suis pas la seule,
croyez moi.
Ce pauvre Gilles avait
lui aussi eu droit au bain dans une grande cuvette, il avait de la boue
dans les yeux, dans les oreilles partout en fait. Un accident bête comme
malheureusement il en arrive tant.
Ma tante a pensé que
je l'avais fait par exprès. Comme c'est triste de penser qu'un enfant de quatre
ou cinq ans puisse avoir de si mauvaises intentions. Heureusement
que ce n'était pas toujours comme cela car elle était très dévouée, et
même si je la craignais, je l'aimais beaucoup car elle avait un coeur
d'or.
Jamais je n'aurais même pensé faire une chose pareille sciemment.
Je me rends compte aujourd'hui que bien des choses nous arrivent et que
souvent on se rappelle celles qui nous ont fait mal au cœur.

Ici, ça devait être à la fin de l'été en face d'un campement de bûcherons.
nous y retrouvons ma tante Bella,
ma mère, une amie et ma
tante Alma du NB
À l'avant à gauche mon petit cousin Gilles, Germain et moi . 1940-41
Est-ce que les mères de famille avaient des servantes ?
Non pas dans le milieu
dans lequel je demeurais. C'était tous des gens qui vivaient pauvrement
et qui travaillaient fort pour faire vivre leurs familles.
La vie quotidienne était difficile dans ce temps-là pour une mère de
famille nombreuse. Il n'y avait pas toutes les installations
électriques qui sont à notre disposition aujourd'hui. Il y avait des
poêles à bois et encore dans certaines demeures, pour avoir de l'eau il y
avait une pompe qu'on devait faire "boire" le matin pour la partir. Tout
ce qui se faisait demandait des efforts.
Pour faire le lavage, il
fallait faire chauffer l'eau dans de grands seaux sur le poêle à bois.
Pour ceux qui n'avaient pas encore toutes les commodités, électricité et
eau courante, c'était très difficile.
Les lavages se faisaient à
la main, en frottant très fort sur une planche à laver afin de déloger
les taches les plus rebelles. Faire aussi bouillir le linge dans une
grande marmite sur le poêle afin de détacher le linge souillé. Faire
tremper le linge dans de l'eau avec du savon du pays. Tordre à tour de
bras pour enlever le surplus d'eau et ensuite étendre le linge sur la
corde pour le faire sécher. Par temps froid, quand on entrait le linge
il était tout gelé comme du gros carton, tant c'était raide.
Il fallait trouver un
endroit pour finir de le sécher et c'étai très long. On retrouvait
souvent dans les maisons, durant les mois d'hiver de grandes cordes à
linge qui traversaient toute la maison . Ça apportait beaucoup
d'humidité et les fenêtres étaient toutes embuées.
Les gens travaillaient
dur et avaient aussi besoin d'une grosse nourriture pour garder leurs
forces. C'est la mère qui préparait les repas, et les hommes aidaient
rarement dans la maison, ce n'était pas la mode. Comme les familles
étaient nombreuses, les filles surtout aidaient la mère dans ses tâches
ménagères. Les garçons aidaient à entrer le bois après l'avoir fendu
avec une hache afin de le mettre en cartier pour en faciliter le
chauffage.
Dans la majorité des cas,
comme il n'y avait aucun confort moderne, l'entretien de la maison
était difficile à faire. Toutes ces tâches étaient bien lourdes. On
lavait les plancher avec de l'eau et du lessie, c'était très fort et ça
brûlait les mains, cela avait pour effet de nettoyer à fond et de
désinfecter, ça donnait une belle couleur rousse aux plancher de bois.
C'est cela qu'on employait aussi dans les chantiers.
Je trouvais qu'il y avait
beaucoup de violence dans certaines demeures. Les femmes en pâtissaient
aussi. Il était courant de voir des enfants se faire battre par un
parent ou par un grand frère. On voyait aussi des maris rudoyer leur
femme, souvent pour des raisons futiles.
Heureusement, je n'ai pas
eu à subir cette violence physique mais j'en ai été témoin très
souvent. J'étais très émotive et j'étais toujours en état de choc quand
j'en étais témoin. Je détestais la chicane et j'étais prête à toutes les
concessions pour l'éviter.
Il y avait sans doute de
très bons moments où régnait la paix dans ces familles, mais ce sont les
souvenirs douloureux qui me viennent en mémoire.
J'ai toujours cru que
lorsqu'un enfant est traité avec respect et tendresse, il accepte plus
facilement l'idée d'être éduqué. Je crois que c'est faire injure à son
intelligence que de lui refuser des explications sous prétexte qu'il ne
les comprendrait pas.
Certes, les enfants ont
besoin d'encadrement et de lois, mais lorsque ces lois sont présentées
consciencieusement, avec compréhension et tendresse, les enfants les
comprennent très aisément. Ainsi une punition sans violence ou une
réprimande justifiée sera facilement acceptée et aidera à trouver le
droit chemin.
J'ai l'impression que la
majorité des gens de ce temps croyait que la meilleure façon d'éduquer
un enfant était l'autorité absolue. Personne n'imaginait que demander au
lieu de commander permettrait d'obtenir de bien meilleurs résultats.
Il faut aussi se mettre
dans le contexte du temps. L'éducation que les parents avait eue était
sommaire et on ne connaissait pas mieux. Tous faisaient pour le mieux,
mais on ne peut donner ce qu'on a pas reçu.
Tu préfères autrefois ou aujourd'hui ?
Je dirais que de tout temps il y a eu de bonnes et il y a eu des
mauvaises façons d'éduquer un enfant. Le plus dur c'est de trouver le
juste milieu.
Élever un jeune enfant en
lui interdisant de dire ce qu'il a à dire, est aussi grave que de lui
laisser dire n'importe quoi et sur n'importe quel ton.
Ne jamais lui permettre
de s'exprimer est aussi grave que de laisser parler celui qui ne
respecte aucune règle et fait et dit tout ce qu'il veut, je crois qu'il a
besoin de balises.
Lui donner toujours des ordres d'une façon autoritaire est aussi dangereux que de le laisser tout faire sans jamais intervenir.
Enfin rabaisser toujours
l'enfant de sorte que celui-ci se sente inférieur me paraît aussi
nuisible que de lui laisser faire tous ses fantasmes en écrasant les
plus faibles.
Comme vous pouvez voir,
les extrêmes ne sont jamais souhaitables et l'époque n'y change pas
grand'chose. Si on souhaite que l'enfant aie confiance en lui, il faut
lui inculquer cette confiance en le valorisant.
Wilda, nous allons
bientôt partir en vacances. C'est Noël dans quelques jours. Tu nous
racontes comment ça se passait dans ce temps-là ?
Aussi loin que je me
rappelle, je n'ai pas grands souvenir de mes Noëls d'enfant, excepté ceux
passés dans les chantiers. Je ne comprends pas bien pourquoi. J'ai
souvenance de choses beaucoup moins heureuses que cette belle fête.
Peut-être est- ce dû au fait que j'étais la seule enfant. Mais je me
pose encore des nombreuses questions sur ces oublis.
Mes premiers souvenirs
remontent à mes premières années d'école. Je devais marcher un bon bout
pour m'y rendre et je passais devant le bureau de poste. Comme j'avais
des tantes qui demeuraient au Nouveau-Brunswick et que j'étais encore
la seule enfant de toute la parenté de mon père, j'avais toujours de
belles surprises pour Noël.
J'étais très curieuse.
Sur le chemin du retour, je m'arrêtais sur les portiques des maisons et
je déballais mes cadeaux qui arrivaient toujours quelques jours à
l'avance. Je savais bien que ma mère m'aurait défendu de les ouvrir et
elle aurait préféré les mettre sous l'arbre de Noël. Mais bon, ma
curiosité était la plus forte.
Et elle ne s'arrêtait pas là.
Je fouillais partout dans
la maison afin de voir s'il n'y avait pas d'autres surprises, et je ne
vous cache pas qu'habituellement je réussissais à tout découvrir! Le
jour de Noël, il n'y avait à peu près rien que je n'avais pas trouvé.
Je disais alors que je n'avais pas de surprise pour Noël!
Comme vous le voyez, j'étais un peu beaucoup gâtée.
Je peux vous dire que ce petit manège s'est déroulé ainsi pendant quelques années.
Mes petits cousins Gilles
et Germain me trouvaient bien chanceuse et auraient bien aimé recevoir
des cadeaux de cette façon, car eux aussi avaient de la parenté à
Maisonnette. Quand on a 4 ou 5 ans, on ne comprend pas pourquoi les
autres ont des choses et pas nous.
Pour les parents, c'est
aussi difficile d'expliquer qu'on ne peut pas faire tel ou tel achat. La
vie est ainsi faite et il y aura toujours des écarts en toutes choses,
malheureusement.
Il ne faut pourtant pas
en vouloir à ceux qui semblent privilégiés, car il ne sont pas toujours
responsables de leur bonne fortune aussi bien que du contraire.
On ne choisit pas dans quel pays on naît, on ne choisit pas dans
quelle famille on viendra au monde, sur quel continent nous passerons
nos premières années, c'est pourquoi le racisme est si injuste.
Comment les enfants s'amusaient-ils? Allais-tu jouer au parc ?
Comme dans la plupart de
maisons avoisinantes, il y avait de nombreux enfants, ils jouaient
dehors ensemble quand la température le permettait.
Ça s'amusait avec des
jeux de fortune. Les jeux d'équipes étaient populaires. On jouait à la
tague. Ce jeu consistait à courir après quelqu'un et lui toucher,
c'était alors à son tour de la donner à un autre enfant.
Il y avait la cachette, un était choisi pour chercher les autres. Il
se bouchait les yeux et comptait jusqu'à 10 pour donner la chance aux
autres de se cacher. Il y avait un point de ralliement et il s'agissait
de revenir au but avant celui qui devait chercher; le dernier qui
arrivait devait chercher les autres.
On s'amusait beaucoup à
l'extérieur, à cette époque, c'était aussi bien mieux pour la santé.
Souvent les plus vieux de la famille devaient passer la plupart de leur
temps à aider dans la maison et n'avaient pas beaucoup de temps pour
s'amuser.
Lorsqu'il ne faisait pas
beau, les enfants se trouvaient des occupations, on jouait à la mère, à
la maîtresse d'école, on chantait, on contait des histoires
Quelques familles avaient la chance d'avoir un appareil de radio à batteries ou
électrique, si ce service était installé, et le soir, après le
chapelet en famille où toute la maisonnée était agenouillée, on écoutait
avec beaucoup d'attention des radios savons, comme on appelait les
émissions périodiques.
Je me souviens de
Jeunesse Dorée, Madeleine et Pierre, Un homme et son péché, les Joyeux
troubadours qui eux passaient à l'heure du dîner, Nazaire et Barnabé et
le hockey, le soir.
Il y avait des capsules que j'écoutais très attentivement…Le civisme
est une foule de petites choses; un tel programme devrait toujours
exister car j'apprenais beaucoup de choses sur la façon de vivre en
harmonie avec les autres.
Parfois des enfants
très jeunes,10 ou 11 ans étaient retirés de l'école pour aider la mère
qui était dépassée par les lourdes tâches qu'elle avait à faire pour
élever les plus jeunes. Il y avait toujours des bébés et parfois
deux ou trois encore aux couches.
Il était fréquent de voir
une mère de 30 ans avec 7 ou 8 enfants qui se suivaient à quelque
douze ou quatorze mois d'intervalle. Elle paraissait aussi vieille que
bien des femmes de 50 ans d'aujourd'hui.
Souvent les mères
perdaient patience et criaient beaucoup après les enfants. Dans les
conditions où tout cela se passait, c' était très dur.
Avec le peu de commodité, il était bien compréhensible de perdre patience mais je crois que ça ne donnait pas le droit de frapper des
enfants avec une telle vigueur.
Il y avait beaucoup de
cultivateurs aussi qui eux habitaient dans les rangs et où les enfants
commençaient très jeunes à aider à la grange, à l'écurie et à la
terre.. Dans les rangs, les maisons étaient toutes éloignées les unes des
autres.
La région du Lac-St-Jean est renommée pour ses bleuets qui sont très bons, gros et sucrés.
Quand c'était la saison , vers la mi-juillet et août, des familles
complètes partaient faire une "run" de bleuets au même titre qu'on disait
une "run" de chantier.
Tous ceux qui pouvaient
marcher étaient mis à contribution pour la cueillette de ce super petit
fruit qui apportait un revenu supplémentaire aux familles. Même si
c'était dur, car tous demeuraient dans un camp de fortune ou des tentes, avec plein de moustiques, mais malgré tout, je crois qu'ils en
gardent aujourd'hui une certaine nostalgie car c'était comme des
vacances pour plusieurs.
Non il n'y avait pas de parc comme aujourd'hui. Même s'il y en avait
eu, je ne vois pas qui aurait eu le temps ou le loisir d'y aller.
Chez moi, la vie était
bien différente, la radio jouait tout le temps et nous pouvions écouter
religieusement les émissions en toute tranquillité.
J'avais ma chambre pour
moi toute seule, mais chez les voisins, il n'était pas rare que trois ou
quatre enfants partagent la même chambre à deux ou trois par lit.
Pourtant, je les trouvais chanceux d'avoir toujours quelqu'un à qui
parler et des compagnons de jeux.
Heureusement que j'avais
des tantes accueillantes et des petits cousins et cousines qui
m'acceptaient dans leur jeux, car je n'avais pas la permission d'aller
jouer chez les voisins.